Triptyque fantastique - Roman de Maria Zaki
"Triptyque fantastique qui a reçu le prix « Gros Sel 2009 » du public attribué par le magazine belge « Résolibre » a pour auteur Maria Zaki, la scientifique et femme de lettres marocaine d’origine jdidie qui réside en France. Il a été publié le 7/2/2008 dans un ouvrage de 168 pages, de format classique (13/20 cm), dont voici un compte rendu
Triptyque fantastique, comme peut le suggérer son titre, est une série de trois histoires à travers lesquelles le lecteur se voit convier à partager trois aventures insolites avec une héroïne à « l’esprit exalté et capturé par le mystère ».
I- Le masque de Venise
La première histoire a pour cadre une chambre d’hôtel à Venise, où une jeune parisienne d’origine apparemment arabe (comme peut le laisser comprendre son prénom Nadia avant que ne le confirmeront, par la suite, d’autres indices) passe sa lune de miel en compagnie de son mari Adam, un jeune médecin. Elle consiste en un voyage dans le temps, plus précisément au XVI° siècle, que déclenche un masque mystérieux acquis dans une petite fabrique de Venise. Un soir, aussitôt que, bravant sa peur, elle a mis ce masque qui l’intriguait par son aspect mystérieux, Nadia perd connaissance pour se retrouver dans un somptueux château de la Renaissance italienne et réincarner le personnage d’une superbe créature vénitienne dont la beauté exceptionnelle lui est réfléchie à travers une grande glace. Une fois revenue à elle, après cette « escapade » nocturne qui lui a ouvert « un couloir dans les frontières du réel », Nadia ne cesse de chercher dans ses souvenirs un visage semblable à celui de la belle madone italienne à la délicatesse raffinée. Le masque ayant perdu tout signe d’étrangeté, c’est ce visage qui devient l’obsession de l’héroïne et qui le restera jusqu’à ce qu’elle réussisse, la veille de leur retour de voyage, à établir le rapprochement entre les traits de la dame réincarnée et le célèbre portrait de la Joconde.
II- La métamorphose numérique
La seconde histoire est articulée sur des allers-retours entre, d’un côté, la réalité quotidienne d’une physicienne de haut niveau et chercheuse indépendante qui ne cesse de s’interroger sur les fondements de son existence tout en s’occupant de sa dernière invention, un écran à trois dimensions, et, de l’autre côté, une réalité dite paradoxalement virtuelle, que met à sa disposition une communauté d’internautes appelés les Avatars. Pour intégrer cette communauté, Nadia est tenue de réussir un examen d’accès, ce qui l’oblige à parfaire ses compétences en informatique. Une fois admise, il lui suffit de se mettre devant son ordinateur, après avoir enfilé sa tenue d’immersion et mis ses lunettes spéciales, et de songer à un pays de l’univers créé par les Avatars, univers dit Second World, pour pouvoir y effectuer le voyage. Le seul risque à devoir éviter, conseillera-t-on en anglais à Nadia dès sa première navigation, c’est celui de perdre la raison. Sans trop tenir compte de cette mise en garde, Nadia, assistée par l’ange gardien qui lui a été attribué, Tania, se lance dans l’aventure numérique. Elle se permet alors de visiter Texagun, la capitale d’un pays très puissant où presque tout le monde est armé (gun = arme à feu) et où la publicité, au moins une fois dans la vie, s’impose comme la condition nécessaire pour exister. Une autre nuit, elle songe et se retrouve aussitôt à Stodholm, une cité créée par les Avatars nordiques et considérée comme un modèle parfait sur le plan architectural. Elle y attrape un rhume mais se soigne rapidement grâce à la télémédecine. La troisième ville explorée par Nadia est Tokin, la capitale de Chipon, le pays le plus peuplé et le plus développé de Second World, qui souffre cependant d’un manque remarquable de femmes et qui, par conséquent, se voit contraint de recourir aux technologies génétiques pour résoudre le problème de procréation.
Mais ces voyages par lesquels Nadia explore le monde itinérant depuis son appartement parisien avaient d’abord commencé par une visite à Paris 2, la projection métamorphosée de la ville de Paris, où notre héroïne rencontre Nadia 2, son double, une scientifique de très haut niveau qui a des démêlés avec la justice pour avoir voulu empêcher qu’une de ses inventions soit exploitée contre l’intérêt de l’humanité. Prise pour son sosie, Nadia est incarcérée. Mais l’affaire ne tarde pas à être résolue, car les intentions destructrices des accusateurs ont été dénoncées et ceux-ci immédiatement arrêtés. Un second voyage, qui sera le dernier de Nadia dans le Second World, a pour destination ce même Paris 2, où l’héroïne fait la rencontre d’une sœur qui n’avait pu naître, sa mère ayant fait une fausse couche. Elle la reconnaît grâce à sa ressemblance extraordinaire avec celle-ci. À force de vivre intensément ces intrusions dans le monde virtuel, Nadia a commencé à présenter des signes troublants aussi bien physiquement que moralement. Telle une toxicomane, elle risquait l’accoutumance autant que la déraison, ce contre quoi son mari, tout en se montrant compréhensif, a toujours essayé de la mettre en garde. Sa seconde rencontre avec son double, lors du dernier voyage, va lui apporter le remède nécessaire. Les arguments de Nadia 2 vont la dissuader de son projet suicidaire, celui de ne plus se déconnecter. En lui rappelant ses obligations envers les êtres qui lui sont chers et l’inanité de s’interroger sur un sens de l’existence autre que celui de faire le bien autour de soi, sa sœur virtuelle la ramène à la raison.
C’est ainsi que prend fin l’aventure hallucinatoire du net.
III- Le mystère de la bibliothèque
Son équipement informatique devant être mis hors de sa vue pour lui éviter toute tentation de reprendre sa navigation risquée, Nadia décide de le mettre dans la bibliothèque. Là, parmi les livres de son mari, elle découvre un ouvrage d’alchimie qui avait appartenu à son beau-père. Sa curiosité est aussitôt suscitée et son intérêt éveillé pour cette science occulte qui prétendait permettre la découverte d’une pierre philosophale capable de transformer de simples métaux en or. Partant des travaux réalisés de son vivant par son beau-père, et après avoir passé une année à déchiffrer le code de l’ouvrage, Nadia se met à la quête de la pierre en question. Elle parvient à isoler une matière qu’elle met dans un creuset avant de déposer ce dernier sur une des étagères de la bibliothèque, entre les ouvrages de deux poètes nés au XIX° siècle.
À la tombée de la nuit, les deux poètes, Rimbaud et Rilke, font leur apparition dans l’espace de la bibliothèque et se livrent à un échange de salon littéraire. Leur secret est vite découvert par le neveu d’Adam, Sami, un jeune de douze ans qui a l’habitude de passer ses week-ends chez son oncle. Sami, une fois sa frayeur passée, participe même à la conversation des deux revenants en les entretenant des progrès réalisés par l’humanité jusqu’en 2007. Mais bien que leur ayant promis le secret, il se décide à aviser sa tante Nadia qu’il aime beaucoup et dont il est le chouchou. Ne croyant pas ses oreilles, celle-ci ne sera persuadée d’avoir réalisé son miracle qu’après avoir pris part à une conversation nocturne avec les revenants auxquels elle ne s’empêchera pas de dévoiler les aspects négatifs du progrès, particulièrement le déclin des valeurs morales qui représente le revers de la médaille.
Cette troisième aventure fantastique va prendre fin de façon tragique. Le père de Sami, qui a exercé un chantage sur son fils, réussit à prendre connaissance du miracle. Cet homme trop matérialiste et trop imprégné d’utilitarisme égoïste aux yeux de Nadia, laquelle ne cache pas une attitude hostile à son égard tout en plaignant le sort déprimant qu’il réserve à sa gentille et douce épouse, se propose de conduire lui-même son fils jusqu’à l’intérieur de l’appartement de son oncle. Conséquence : cette nuit-là, les revenants ne donnent pas signe de vie. Le creuset a disparu ! Sami est innocent mais n’ose accuser son père qui a pu pourtant entrer dans la bibliothèque. Plus tard, la belle-sœur de Nadia lui téléphone : une explosion s’est produite dans leur garage et les pompiers n’ont encore trouvé aucune trace de son mari.
Quelle chute ! Mais, rien d’étonnant ; car, dans le genre fantastique, il n’est pas rare de voir quelqu’un sombrer dans la folie ou se perdre dans les ténèbres, sinon dans les flammes. Généralement, c’est le héros ou l’héroïne. Ici, celle-ci a gardé suffisamment de lucidité pour ne pas être engloutie par le virtuel. Sans doute en raison de son humanisme ! Alors, c’est la réalisation d’un de ses fantasmes qui semble avoir scellé son triptyque fantastique : faire exploser l’image qu’elle abhorrait dans l’homme, cette image d’homme dépourvu de tout humanisme, qu’incarnait parfaitement le beau-frère de son mari."
Abdelhak Derif
http://haouzia.com/article429