Je me suis longtemps demandé s’il existe une poésie féminine spécifique. Et en lisant ce très beau recueil de Maria Zaki, je persiste à me poser la même question, en en admettant le bien- fondé, tout au moins à titre d’hypothèse. Mais penserais- je de la sorte, parce que chez elle, prévalent retenue, pondération et pudeur ? Non, je ne le pense pas, car les poétesses arabes contemporaines font preuve d’une audace qu’on ne pouvait pas soupçonner, il y a peu de temps encore, y compris dans les domaines les plus charnellement intimes de la vie. Et d’ailleurs même chez Maria perce, çà ou là, quelque accent de sensualité :

 

-« Enfin je le regarde / Sans cacher mon désir /  Sans détourner les yeux /  Ni clore les paupières  / Sur un autre que lui ! ».

-« Non sans peur / J’ai gravi les marches / Hautes du destin / Et mis mon souffle / Dans sa main / La question est:/L’acceptera-t-il ? »

-« Si je me déclarais / Confuse mais libre / De guetter sa lumière / Nue à mes vitres / M’écouterait-il ? / Si je lui disais que/ Ce n’est pas à sa science / Que mon cœur est pendu / Mais que la science de mon cœur / Lui est due /

Me croirait-il ? ».

-« Etreinte forte et brève /  Rêve atomique !... ».

-«… des pas /  Que tu as suscités en moi… ».

-« Je traverse autant de terres / Que de ciels / Et tous me renvoient/  Vers toi ! ».

 

Donc, il faut chercher ailleurs les arguments qui plaident pour ma petite théorie en question.

 

En fait, je persiste dans mon opinion, car le recueil porte la marque d’une finesse et d’une délicatesse propres aux femmes, qui me ravissent :

 

- « Je dessine ton visage / Sur le velours du silence / Je soulève les voiles du rêve / Et me cache sous tes paupières / Je sens une larme chaude / Je ris de douleur… »

- « J’habite une caravane de mots / Un vaisseau de soie/ De soi / M’emportera peut-être !/ Je vole parfois / Dans un jet de lumière / Ou dans une prière / J’entre en moi / La question est:/ A quelle distance des cieux / Se tient mon essieu ?/ Du haut de ma sagesse / Tout à fait improbable / Une question/ oscille:/ Comment bien vivre ? »

 

Il est tout à fait clair que ne vont pas uniquement dans le sens de ma thèse les deux expressions : le velours du silence et un vaisseau de soie.

Toutefois, je nuancerai plus loin mon propos, en montrant que sa poésie, au moins partiellement, est étrangère à ce type de considérations.

 

Une bonne partie du recueil verse dans la spiritualité, qu’elle voudrait vraisemblablement voir intervenir plus fortement dans sa vie ; peut -être pour atténuer un peu de ses contraintes existentielles, et notamment amoureuses, évoquées plus haut ; dont le premier chapitre est, je le précise, dédié à Feu notre ami commun, le grand écrivain Abelkébir Khatibi. Et d’ailleurs elle se pose la question : « Suis-je devenue Mystique ? Oui et non… ». Elle cite ce propos lumineux d’Ibn Arabi : « La vie est un rêve à interpréter ». Quant à moi, Je dirais plus banalement ( ? ), et plus modestement : la vie, est-elle un rêve placebo ?

 

Toujours est-il que son inspiration est largement islamique :

-« Dans les vergers/ Du Livre Sacré /Je fraternise avec le trio:/ A (aleph) L (lam) M (mim)/… »

Dans la même veine, elle s’écrie magnifiquement :

-« Dans la fable du monde /  Nous débarquons avec / Un tout sur le front / Et un rien sur la nuque/  Avec le goût du paradis/ Originel sur les lèvres / Nous faisons acte de présence / Pour confirmer l’oracle de la science/ Nous nous proclamons / En connaissance de cause / Témoins de la vanité des choses / Sur des chemins hasardeux / Nous frémissons aux abords / D’un monde oublieux /  Où nous héritons au mieux / D’un rien sur le front / Et d’un tout sur la nuque ! ».

Dans Le Coran ne lit- on pas que la vie est jeu et dérision ?

 

Autrement, sa poésie est disons universelle, ni masculine, ni féminine, simplement souverainement humaine :

-« Je marche et derrière moi/ Marche enfin ma peine / Je marche sur les pas / De celui qui m’a offert / Son regard et son écoute ».

-« Familière de lui / Etrangère à tout ».

-«Mes mains lestées de leurs acquis /Tatouent sur ma peau /Des mots inégaux ».

-« Dans ton abri poétique / Il s’agit d’amadouer / L’irréversible ».

  Dans la brume / Où l’oubli travaille / Peu de bruits / Défaits des songes ».

-« Toi qui navigues / Entre les récifs de la soif… ».

-« Des lettres / Dont les mots / Veulent naître ! ».

-« L’autre moi réplique : / Il faut voiler le désir ! ».

- « Une poignée de mots / Tombent / Au cœur de ma solitude ».

 

Les mots sont magnifiquement omniprésents dans le recueil; en témoignent tout particulièrement ces derniers vers somptueux.

-« Si le corps parle autant / Organe par organe / Atome par atome / C’est pour régler / Son excès de vie/ Ou son surplus de mort ! ».

 

On nous dit que l’on ne meurt qu’une fois, comme pour en atténuer l’effet. De même que l’on nous dit que l’on ne vit qu’une fois, comme pour en accentuer l’importance. Enfin bref, une seule mort… la mienne, la vôtre… comme une étoile qui explose, solitaire, dans le ciel ! Pourtant, il existe des mystiques, qui, pour s’apaiser, pensent à la mort.

 

Sinon, il lui arrive de produire, quoique rarement, des mots qui communiquent par l’étonnement, voire par l’inquiétude :

 

-« Vérité dangereuse / Cherche ton ellipse / Dans la pensée aimante ! ».

 

Dans nombre de genres littéraires, l’on est tout le temps à la recherche du mot juste, mais oserais- je affirmer que la poésie, moderne, plus en particulier, est friande du mot injuste, non dans le sens moral, mais par opposition à mot juste ?

Sinon, je le répète, sa poésie demeure sans excès, faisant preuve d’une belle économie de mots, quoique émaillée de temps à autre de néologismes comme Obstaclé, signiste et desseuillée.

Abdelmajid Benjelloun