Que le lecteur ne s’attende pas à lire ici un roman dans son aspect structurel formel qui répond au schéma narratif classique. Il découvrira plutôt un récit soigneusement bâti sur une minutieuse exploration d’ordre anthropologique, psychologique et culturel.


De fait, la personnalité des protagonistes, leurs faits et gestes ainsi que leurs déplacements, importent moins que leurs propres questionnements, et, à travers eux, les réflexions socio-culturelles auxquelles le lecteur est invité à s’intéresser ou, le cas échéant, à prendre part.


Avec Maria Zaki, nous ne sommes jamais menés sur le terrain d’une intrigue spécifique, ni sur celui d’un parcours argumentatif ; et c’est bien ici que se situe la première clé de lecture des pages que vous allez découvrir : c’est de cette clé que je voudrais vous entretenir brièvement ici.


Dans ce roman, nous avons affaire à des constats qui portent sur les différenciations des modes de vie, les valeurs absolues et relatives, les liens sociaux, la vie familiale et la vie du monde, la psychologie individuelle inscrite dans la psychologie collective, l’intimité et la collectivité, les fragiles relations entre les concepts de sympathie, d’antipathie et d’empathie, entre les doutes et les certitudes, la remise en question de soi, la difficulté d’objectivation et d’appréhension du monde. Mais aussi, en toile de fond, la prise en compte de notre lecture du monde, de notre « être au monde », de notre participation au monde à cheval entre la France et le Maroc, la ville et la campagne, les modalités sociétales et l’isolement, la quête de soi, la compréhension de l’autre et des autres.


Tout ceci s’inscrit dans un processus que résume le titre de l’ouvrage. Il s’agit, in fine, à travers un voyage permanent en soi-même aussi bien que dans le monde, à travers des espaces culturels différents, en tenant compte de l’environnement proche et lointain de la personne (ici figurée par Laila), d’une quête longue et patiente de l’équilibre intérieur.


J’avais évoqué, quelques lignes plus haut, la nécessité de tenir au creux de la main cette clé de lecture. C’est chose faite. Pourtant, je voudrais encore évoquer une deuxième clé qui ne concerne pas l’ouverture de la porte vers « ce qui est dit », mais qui permet de mieux appréhender les modalités de langage, ou, si l’on préfère, de savoir « comment c’est dit ».


Que le lecteur se rassure : je ne souhaite pas expliciter exhaustivement, ni même partiellement, les caractères stylistiques de cet ouvrage. Je souhaite simplement, ici encore, fournir une clé de lecture destinée à se familiariser avec le caractère propre à l’expression écrite de l’auteur en me fondant sur une perception globale que je résumerais métaphoriquement par une allusion au mot « velours ».

J’entends par là une manière volontaire de glisser tout en douceur sur les thèmes abordés. En termes d’arts plastiques, nous sommes à mille lieues de la violence des formes et des couleurs expressionnistes ! Nous serions en revanche plus proches de la technique et des subtilités des pigments du pastel, art du velours par excellence.


Si nous considérons maintenant ces deux clés de lecture que je vous propose, nous devenons les détenteurs d’un mini-trousseau qui permet d’ouvrir à la fois la porte de la profondeur des réflexions et la porte du rythme tout en douceur, et parfois avec humour, de l’expression écrite. C’est ce contraste, sans doute paradoxal, qui constitue le fondement et l’intérêt de la lecture.


Je ne peux m’empêcher de songer ici à l’un des emblèmes de l’Atalanta Fugiens de Michael Maier, médecin et alchimiste qui œuvra à la cour de l’empereur Rodolphe II de Habsbourg : « Celui qui tente d’entrer sans clés dans la roseraie des philosophes est comparé à un homme qui veut marcher sans pieds[1] ».


Les deux clés de lecture que j’ai proposées avant d’entamer la découverte de La funambule de Maria Zaki donneront, je l’espère, à qui veut y pénétrer, les pieds nécessaires à la découverte du cheminement de sa pensée.

Jacques Herman


[1] Michael Maier, Atalanta Fugiens, Oppeheim, 1618 : « Qui rosarium intrare conatur philosophicum absque clave, assimilatur homini ambulare volenti absque pedibus » (Emblema XXVII).