« Que tu sois un garçon ou bien une fille, je t’aimerai toujours autant »
Il faudra que le lecteur marque un temps d’arrêt devant ce propos et qu’il le considère à la fois comme un élément du discours direct dans un dialogue, comme une phrase de type déclaratif à percevoir au premier degré et comme la formulation verbale de la clé de lecture du roman que Maria Zaki consacre à cette métamorphose inattendue du personnage central de son roman, Adam.
Le prénom ne doit rien au hasard. D’ailleurs il ne se trouve pas la moindre ligne, pas le moindre mot, dans ce livre, qui relèverait d’un vagabondage de la pensée conduisant, in fine, à la mise en place d’une architecture romanesque ordinaire. Rien ne relève d’une « plume errante »: ni les thématiques qui ancrent la narration dans le terrain fertile de l’imaginaire, ni le profil des personnages et des environnements familiaux, ni le défilement des composantes des paysages et des éléments constitutifs d’usages locaux ou régionaux. Tout est construit, pesé, sous pesé. Et, par-dessus tout, « inséré ».
Car Maria Zaki maîtrise parfaitement l’art de l’insertion, dans ce roman-ci comme dans tout ce qu’elle a déjà publié à ce jour en vers et en prose. Son art de l’insertion est comme son empreinte digitale, son signe de reconnaissance. L’action, le décor, les messages porteurs d’espérance ou de douleur, le doux profil des hautes dunes des vérités éternelles qui relèvent de l’indicible et qui, par nature, échappent à l’analyse, aussi bien que les forts ancrages de la raison, l’univers contrasté des saisons de l’esprit : autant de marques qui lui sont propres, qu’elle insère dans le déroulement chronologique des faits et qui modulent les expressions de son message.
Comment échapperions-nous, dans l’approche de l’écriture de Maria Zaki, à l’un de ses aspects fondamentaux, essentiels, à savoir le cheminement du particulier vers le général et du régional vers l’universel ? Elle se faufile à l’aise, avec une souplesse féline, dans les forêts de symboles tout autant que dans les méandres du quotidien le plus banal. Mais dans l’une et l’autre situation, elle invite ses lecteurs à participer à un mouvement ascendant de l’esprit, vers des horizons que parfois l’on devine, qui parfois nous surprennent. L’œil de Maria Zaki se fait aussi photographique à certaines occasions : l’écrivain nous donne alors à voir les choses célestes à partir d’un simple fragment des choses terrestres et nous nous remémorons en la circonstance ces paroles de la Tabula Smaragdina d’Hermès Trismégiste : « ce qui est en bas est comme ce qui est en haut et ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, pour accomplir les miracles d’une seule chose ».
La femme, dans ce roman, apparaît clairement comme un nombril discret. Elle surgit de la métamorphose d’Adam, sans la moindre intervention chirurgicale et sans la plus petite référence à l’humanité originelle. Elle sourd de la puissance de l’imaginaire qui devient le serviteur de la réalité tangible et palpable et qui sculpte le profil, toujours mouvant, de ces choses quotidiennes que l’auteur épingle pour mettre en évidence l’étonnante plasticité.
Donnez à Maria Zaki une poignée de sable de Merzouga, une poignée de terre de Tarouddant, un peu d’eau puisée au large d’Essaouira ou d’El Jadida, c’est suffisant pour qu’à travers l’élément local, elle vous amène aux questions universelles, aux interrogations essentielles. Et jamais elle n’impose un point de vue, ni par force, ni par ruse, ni par technique persuasive. Elle suggère, elle esquisse, elle trace des sillons (souvent plus profonds qu’on ne l’imagine quant au labour de l’âme) à l’aide du stylet qu’est parfois le vent qui passe et parfois la vague de l’océan. Et c’est au lecteur de suivre le cheminement de l’auteur et de mettre ou non ses pas dans les siens, toujours dans le respect de la plus absolue liberté de conscience.
Enfin, on me permettra sans doute d’ajouter encore à ces considérations, la mélodie du monde née de la plume de Maria Zaki. Elle nous donne effectivement à entendre une musique de fond dont le rôle, contrairement à ce que l’on pourrait croire, n’est pas anodin. Pas plus que des propos qui pourraient paraître anecdotiques et qui, de fait, ne le sont jamais : chaque énoncé porte toujours sa propre raison d’être; il s’inscrit dans une organisation très structurée de la pensée sans jamais en montrer l’ossature. Avec Maria Zaki, on est invité à deviner comme à réfléchir, certes, mais surtout à se laisser imprégner. Et, ce faisant, à rejeter toute soumission, de quelque nature qu’elle soit. En bref, dans ce roman comme dans toutes ses œuvres précédentes, elle nous invite à ce que l’on pourrait appeler une lecture par « imbibition ».
La musique de Maria Zaki nous est connue depuis longtemps : qu’on relise ses poèmes et aussitôt « voici défait le silence ». Preuve, s’il en était besoin, que le roman peut chanter doucement à l’oreille, semblablement à la poésie, et que tous les genres littéraires, finalement, recèlent dans leur fécondité des portées musicales et des notes communes.
Jacques Herman