Il est rare de rencontrer une poésie qui pose des questions essentielles sans lourdeur et n'en reste pas moins de la poésie dans sa façon de les formuler, qui soit légère en évitant le futile, grave et gaie tout à la fois. Maria Zaki et Jacques Herman ont déjà accompli un parcours substantiel dans l'art du dialogue en vers puisque Un tout autre versant est leur troisième champ d'écriture où leurs voix parallèles sèment le grain. Entreprise audacieuse et des plus originales dont nous ne connaissons pas d'équivalent contemporain.
L'un des deux donne le ton - le chant du départ en quelque sorte -, l'autre y répond dans le droit fil ou en creusant un certain écart, une distance de liberté, un nouveau sillon qui relancera le propos dans une direction inattendue. On dirait nos deux poètes se promenant désinvoltes dans un jardin extraordinaire à la Trenet où tour à tour ils se désigneraient mutuellement les merveilles inépuisables qu'ils y croisent, dispersées çà et là, se hâtant de les noter de peur de les perdre. Les choses insolites qu'ils ne voient pas, ils les imaginent et ce sont parfois les plus attrayantes.
La poésie doit surprendre son lecteur pour lui en laisser des traces. Ici, ce sont les images, immédiatement saisissables, et la cadence fluide des strophes qui créent la sensation. D'un poème à l'autre il y a toujours de l'étonnement dans l'air. Rien n'est statique, l'intérêt constamment rebondit. Que vont-ils encore trouver à se dire ? se demande-t-on. Et c'est ainsi que l'on tourne les pages sans même s'en apercevoir.
Dans les duos on s'attend plus ou moins à une fusion. Or, dans le cas présent on assiste plutôt à une affinité de perceptions, les démarches se côtoient sans se confondre, chacun préservant sa vision et sa musique particulières. C'est à un partage des différences auquel nous sommes conviés, de là son charme premier. Partage tranquille avec ses accents d'humour, ses intonations d'humeur aussi, voire quelquefois la désillusion d'observer le monde si peu conforme à ce qu'il pourrait être. On lira également de discrètes chiquenaudes à la pédanterie omniprésente dans nos environnements.
Maria et Jacques s'adressent l'un à l'autre en même temps qu'à un hôte inconnu. De fait, nous qui sommes à l'extérieur de l'échange y entrons de plain-pied par la grâce d'un verbe disponible. Leurs questionnements réciproques deviennent les nôtres. D'ailleurs, le « nous » et le « on » supplantent le « je », jeu précisément ouvert à tous les vents qui les traversent. Leurs souffles conjugués nous parviennent, que nous soyons au milieu des dunes, sur la rivière, où par les chemins bruissant d'indicible où ils nous entraînent.
Les réflexions se sollicitent réciproquement. Une observation s'enrichit de son prolongement ou de son contraire. La parole est renvoyée plus loin dans son mouvement. En définitive, ces vers qui se tiennent la main nous libèrent. De quoi ? De l'épaisseur, pardi, celle de notre quotidien trébuchant, de la gangue de nos certitudes qui voudraient nous faire croire que le blanc est simplement clair et le noir simplement sombre alors que tout mérite d'être mieux examiné.
Dans l'élégance naturelle qui juxtapose leurs mots, Maria et Jacques nous montrent les ressources profondes auxquelles peut prétendre la poésie.